Moi qui me considère volontiers "de gauche", je suis tout à coup entouré de gens pour qui la question de savoir pour qui voter ne se pose pas: on vote MR, c'est tout. Ah oui? Pas que ça change mes opinions, mais c'est intéressant d'observer un autre point de vue de l'intérieur. Ça permet de comprendre ce qu'il y a souvent de viscéral dans ses propres convictions, car bien sûr c'est la première chose que l'on perçoit dans l'autre "camp". En l'espèce, une sorte de dégoût profond pour ces socialos qui dilapident à qui mieux-mieux le fruit d'une tradition bourgeoise qui, elle, s'appuie sur une éthique de travail ancestrale, une rigueur et une inventivité qui sont à l'opposé de la désorganisation dispendieuse qui est le principe actif d'une idéologie totalement irréaliste, prétexte d'ambitions personnelles pour quelques individus fondamentalement médiocres. Bref, la gauche, c'est du vomi. Sans aller jusqu'à embrasser ces belles idées, grâce à un certain effort d'écoute, je suis néanmoins capable de comprendre – un peu – d'où elles viennent. Évidemment j'ai caricaturé. Ce que je veux illustrer c'est l'importance de la notion de dégoût en politique. Jonathan Haidt en parle très bien dans The Righeous Mind. Après avoir lu ce livre, difficile de ne pas la voir à l'œuvre partout.
C'est la raison pour laquelle cet article m'a intrigué: Jordan Bardella, président du Rassemblement National en France a, plus jeune, enseigné le français à des migrants, ce qui en soi est plutôt le signe d'une certaine ouverture d'esprit. Surtout, il a grandi à Saint-Denis et a fréquenté un lycée privé et donc privilégié dont la population est à majorité d'origine arabe mais où, surtout, la mixité sociale est harmonieuse.
L'article n'explique pas pourquoi ou même si Jordan Bardella éprouve réellement le dégoût pour l'immigration qui est un des ressorts principaux du parti qui est à l'origine de son engagement en politique, mais dépeint un personnage mû par une sorte d'instinct primitif fait d'orgueil et de grandiloquence, avec à la base un amour immodéré de la police. Il décrit un homme qui ne pense pas, qui répond volontiers "je ne sais pas", quand on lui a demandé ce qu'il ferait face à l'embrasement des cités, en 2023.
Un lecteur du Monde modéré et éduqué aura probablement tôt fait de classer l’affaire: voilà un homme cynique qui exploite le ressentiment du bas-peuple, le racisme et l’instinct de vengeance. Pourtant, je pense personnellement qu’aujourd’hui, on ne peut pas se permettre de se laisser aller à ce dégoût, car c'est un raccourci vraiment trop facile.
Je suis très loin de connaître la banlieue, mais j’habite une zone limitrophe d’un quartier dont la population est en très grande partie issue de l’immigration, en l'occurence en provenance d'un tout petit bled de Turquie centrale. Les rapports sont heureusement à peu près pacifiques, mais il émane de ce quartier un climat toxique. Non seulement il fait sale et désordonné, mais y sévit aussi une agressivité machiste omniprésente: grosses voitures de marques allemandes aux vitres fumées, rodéos urbains nocturnes, mines patibulaires. Un climat d’entre soi énervé. Ici, c'est Erdogan qui règne en maître absolu des consciences politiques.
Et aujourd’hui, je suis lassé par les belles intentions gauchisantes qui ne parlent que de soi-disant ouverture, d’interculturalité et de néo-colonialisme. J’entends partout les discours horrifiés de parents qui ont voulu jouer cette carte en mettant leurs enfants dans des écoles communales sans réfléchir aux conséquences d’une non-mixité renversée. Ce que les bobos ne veulent pas voir c'est que, souvent, ces populations, pour toutes sortes de raisons, ont un comportement civique à l'opposé du leur: sur-consommateurs, avides de divertissements débiles, absolument pas écolos, très souvent profondément racistes et sexistes et politiquement à l'extrême droite. Les enseignants sont confrontés sans cesse à des exigences islamistes totalement inconciliables avec nos principes démocratiques fondamentaux. Alors oui, le choc culturel est au rendez-vous.
En particulier, j'ose dire que, effectivement, la tenue vestimentaire conforme au Coran que de plus en plus de femmes adoptent me fait froid dans le dos, car c'est réduire une classe d'individus à sa seule fonction reproductive – les femmes – qu’il s’agit de protéger du désir vorace et prédateur d'un autre groupe qui lui fait face: les hommes. N'en déplaise aux féministes que ce sujet hérisse car il ne serait qu'une distraction et un défouloir pour toutes celles et ceux qui ne veulent pas voir tous les autres problèmes d'inégalité hommes-femmes dont ils se rendent coupables, pour moi, qu'on le veuille ou non, c'est un spectacle obscène. Il ne s'agit pas d'une paille dans l'œil du voisin, c'est bel et bien une poutre! J'ai conscience qu'il s'agit d'une injonction religieuse (ici, versets 30 et 31 et ici, verset 59), mais doit-on vraiment s'arrêter là? Est-ce que, justement, une société moderne n'a-t-elle pas vocation à faire évoluer ses mœurs, ses limites, à grandir – à tout le moins à ne pas se contenter de considérer ses citoyens comme des animaux assoifés de sexe? Je trouve désolant de voir que, de manière générale, c'est plutôt dans l'autre direction qu'on se dirige. Prendre par exemple l'ouverture récente dans les piscines, de créneaux horaires réservés aux femmes. Même si je comprends, dans une certaine mesure, qu’on en arrive là, ça me consterne et je ne peux que considérer ça comme un recul. Pour la génération de mes parents, l’ouverture d’un compte en banque n’était autorisée aux femmes qu’avec l’accord de leur mari. Les lignes ont bougé depuis. Alors, serions-nous en train de différencier certaines catégories de femmes, les unes devant être considérées égales aux hommes et les autres non?
Il s'agit d'un dossier complexe. La réalité est pleine de nuances. Malgré ça, une chose est sûre: dans la vraie vie, si une expérience se répète trop souvent, les gens finissent par perdre patience. On ne peut pas nier l'affaire parce qu'on croit être au-dessus de ça. Quand on fait face quotidiennement à une contradiction frontale à nos principes et à notre culture, la colère est compréhensible, et le vote identitaire devient malheureusement un réflexe logique.
Pour conclure, ce que je pense, c'est que pour faire rempart à l’extrême droite aujourd’hui, il faut aussi savoir faire face aux problèmes de repli identitaire causés par l’immigration tant passée que présente et à venir. Comprendre ses enjeux et ses défis plutôt que jouer tour à tour la carte émotionnelle ou les arguments saturés de bien-pensance. Et se souvenir que notre immigration est en grande majorité Belge.
Et bien sûr, je suis loin de penser que c'est là le problème le plus important que nous ayons, mais c'est peut-être là que se situe le plus grand danger: pour nos libertés, pour nos idéaux, si l'extrême-droite devait arriver au pouvoir. Ce qui, pour moi, est sûr, c’est qu’il nous manque une ligne directrice: un rêve européen?