Nous n'irons pas vivre à la campagne

Finalement, la ville c'est mieux!

C'est un peu le réflexe de base, avec nos styles de vie hyper-urbains, quand on pense à se reconvertir à un mode de vie "plus en phase avec nos valeurs", on se dit qu'on va vivre à la campagne.

D'ailleurs, les jeunes qui montrent l'exemple, c'est ce qu'ils font:

- J'habite depuis deux ans à la ZAD de Notre-Dame-des-Landes où je fais de l'agriculture collective et vivrière.
- Je suis en cours d'installation en apiculture dans le Dauphiné.
- On s'installe en collectif dans le Tarn sur une ferme Terre de Liens avec un paysan-boulanger, des brasseurs et des arboriculteurs.

...et gna-gna-gni et gna-gna-gna...

Ce n'est pas faute d'y avoir pensé. On a même failli déménager avec toute la famille. Puis, à force de visiter des maisons, on a fini par comprendre ce que c'est, la campagne belge: de l'agriculture intensive à perte de vue, des lignes à haute tension partout et des maisons style Minecraft qui poussent comme des champignons; des routes pas du tout faites pour les vélos, très peu voire pas de mixité sociale, une offre culturelle inexistante, etc, etc.

Pour être honnête, on ne pouvait pas non plus trop s'éloigner de Bruxelles parce que ma femme, elle, elle a un boulot qui lui plaît et qui, au passage, a du "sens". Et bon donc, là où on pouvait se permettre d'aller sans perdre trop de temps dans les emboutes, c'est juste moche.

Maintenant c'est vrai qu'il y a des coins plus jolis en Belgique. D'ailleurs, un an après avoir renoncé à notre projet de reconversion, et pour être sûrs de faire le bon choix, nous avons testé un truc: nous avons loué un chalet dans les Ardennes pour y passer les week-ends...

Là, premier constat: c'est bruyant. C'est simple: le week-end, à la campagne, c'est quand tout le monde tond sa pelouse. Concrètement, ça veut dire que tous les voisins vont s'y mettre, chacun sur son petit tracteur. Au passage, la mutualisation des ressources, c'est encore une lointaine utopie: j'ai bien dit chacun son petit tracteur, hein. Ensuite, nous avons compris autre chose: c'est vrai que nous avions trouvé un petit coin sympa à l'orée d'un petit bois, mais:

  • hormis quelques endroits un peu sauvages, la grande majorité de ce qu'on appelle "forêt" consiste en un alignement parfaitement sordide de sapins promis à l'abattage. C'est à vous foutre le bourdon en moins de deux.
  • il y a bien quelques sentiers communaux où le citoyen moyen est autorisé à déambuler, mais le gros de la "forêt" c'est le territoire des chasseurs. Mais oui, mais oui, de vieux mâles dominants, malades et bedonnants, imbibés d'alcool et munis d'armes léthales qui détestent les promeneurs, comme vous.

Enfin, il y a la voiture qui, d'accessoire occasionnel pour les escapades un peu lointaines est devenue l'outil indispensable pour tout déplacement aussi anodin soit-il. Du coup, la rationalité veut qu'on aille se ravitailler le plus efficacement possible dans les centres commerciaux saturés d'enseignes globalisées parfaitement débectantes.

Ah, et un point non sans importance: l'alimentation. Car c'est là l'un des attraits, au moins théorique, de l'appel à la campagne, n'est-ce pas? Mais là aussi, le désenchantement est au rendez-vous. Car le bio, à la campagne, c'est un truc de riches. Le maga bio là-bas, c'est environ 30% plus cher que chez nous. C'est vrai qu'il y a moins de monde, mais il y a moins de choix, aussi. Vous me direz qu'on peut aller se fournir directement chez le producteur, peut-être? Sans doute, mais ce sera au prix d'hectolitres d'hydrocarbures. Le terroir attendra, il va falloir s'habituer aux légumes au glyphosate.

OK, j'arrête. Ceux qui vivent heureux à la campagne, SVP, ne prenez pas ça trop au sérieux.

Tout ce que je veux dire, c'est que l'idéal d'un retour à la terre, à une activité simple et bonne, ça va pour ceux qui ont la vie devant eux. Pour nous les vieux, à moins d'une reconversion radicale et militante, ce n'est juste pas une option.

© Candide Kemmler 2024

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